En ce mercredi 17 octobre plusieurs véhicules, généralement de petites cylindrées un peu pourraves, plus ou moins propres à l’intérieur [1] et remplies à ras bord de footballeurs faricrussiens, sont en route vers Vaugneray. Ce sont des footballeurs courageux, ces gars-là, des jeunes plein d’énergie, certains travaillent même en dehors de leurs activités sportives, mais ils ont quand même une petite appréhension à venir jouer au-delà des embouteillages, sur ses terres lointaines peuplées d’étranges légendes.

Ils pensent tous au Vaugne évidemment : cette créature mythique des monts du Lyonnais, ce monstre fabuleux, mi-homme mi-crapaud, qui émet un Koaaa terrifiant dans les nuits d’automne, qui sent un peu mauvais et a un goitre énorme, qui hante les récits des vieux de la région. Pour ceux qui sont originaires de ce côté-ci du monde, ça fait remonter des souvenirs d’enfance, quand nos mères nous racontaient les histoires que leurs mères leur avaient raconté, et leurs mères de leurs mères…à propos du Vaugne et de la Princesse de St Laurent, ou du joueur de fifre de Craponne dans la tanière du Vaugne, du Vaugne et du petit canard… ou quand nos pères nous disaient très fort : « Si tu n’es pas sage, le Vaugne viendra te manger ! » Et cette histoire du Vaugne dans le placard, qui nous empêchait de dormir…

Des histoires pour faire peur aux enfants bien sûr… mais dans le ciel, tandis que les voitures du FAR roulent à vive allure et particulièrement celle de Pef, on voit des nuages d’oiseaux s’enfuir des montagnes dans un crépuscule dramatiquement rougeoyant et au loin la forme des nuages a quelque chose d’inquiétant.
 Vous entendez pas comme un bruit sourd ? a demandé Pef.
 Si… Eh vous avez vu ? a dit Nico en montrant les bords de route.

Une procession constituée de lièvres, de sangliers et de parents d’élèves du collège Jean Rostand semblait fuir la zone.
 … Pef tu veux pas mettre la radio ?

Pef a mis la radio et zappé rapidement d’une station à l’autre :

« nous venons de l’apprendre : un gorille géant d’environ 9 tonnes et demi plus connu sous le nom de King Kong, qu’on avait acheminer il y a deux jours seulement jusqu’au parc Vulcania pour fêter les dix ans du parc, se serait échapper la nuit dernière ; on aurait signalé sa présence dans un lotissement près de Roanne où plusieurs épaves de Land Rover ont été retrouvées dans les arbres ; à Feurs, un petit Casino a été entièrement dévasté par la bête… c’était jour de marché à Montbrison quand King Kong a déboulé sur les stands… il semble que les autorités préfectorales organisent actuellement l’évacuation du nord du département de la Loire… King Kong se dirigerait actuellement vers l’Est et devrait traverser les monts du Lyonnais dans la nuit… »

 Bon on fera pas tard après l’apéro, a décrété Pef.

Peu après des aboiements se font entendre, c’est le signe qu’on est tout près : en effet le stade se trouve juste avant l’Amicale des Chiens méchants et des Mecs qui Parlent Très Fort, une association qui rassemble les plus beaux bergers allemands à l’ouest du Rhône et les piliers de comptoirs les plus assidus du département, dans une ambiance agréable et conviviale d’harmonie entre humains et canidés ; à noter que cette association organise également des week-ends et des séminaires de réflexion pour cadres urbains en reconversion. On se gare, et nous voilà sur les lieux où nous allons affronter les hommes de Vaugneray. Nous enfilons nos combifoots et c’est parti.

L’orage se précise et la pluie commence à tomber. Les joueurs se placent sur le terrain. Nos adversaires portent un maillot blanc rayé de bleu. A moins que ce ne soit le contraire. Peu importe. Serge dit « Allez, les gars coup d’envoi », puis siffle. Le match démarre à toute vitesse. Le FAR est bien organisé. Profitant d’une erreur de la défense, Kobri marque un premier but de petit furet des surfaces. Menant 1-0, le FAR craque pourtant un quart d’heure plus tard et prend trois buts assez rapidement. Menés 3-1 à cinq minutes de la mi-temps, les faricrussiens craignent le pire : la grosse fessée, la pétée suprême, la mère des doudounes. Ils savent qu’on peut vite arriver à 6-1 à la fin du match.

Et c’est là que le totem de Lio intervient : LE ibis du delta du Nil, cette créature agile qui s’empare de lui dans les moments de grande émotion : il évolue alors dans l’axe avec la grâce d’un volatile aquatique. D’un extérieur des 20 mètres qui fuse sur la pelouse, il trompe le gardien et marque son premier but au FAR. Lio est super content et il se met à faire le tour du terrain en volant en rase-mottes avant de se poser sur la transversale de la cage de Mat et de faire un petit pas de salsa en équilibre sur la barre en agitant les ailes.

De manière inespérée, Martin enfonce le clou deux minutes plus tard et le score est de 3 partout à la mi-temps. Le coach qui ne joue pas (il est en survêtement, ce qui est très rare chez les requins) gonfle l’équipe qui vient miraculeusement de revenir au score.

En deuxième mi-temps, le Far développe un jeu fait de glissades, de roulades, de contrôles désorientés, de double saltos en touche, d’aquaplaning, mais Mat fait les sorties qu’il faut, car oui, parfois il faut savoir sortir, plonger et se jeter, et le FAR parvient à résister aux hommes du Vaugne. Le score en restera là, après 45 minutes où l’ensemble des joueurs présents sur le terrain ainsi que l’arbitre ont débattu avec adrénaline de la notion de faute et de ce qu’elle implique (un sifflet, un arbitre qui siffle ou pas, des joueurs qui ferment leur gueule ou pas).

Un bon résultat de l’avis général : en plus un 3-3, ça donne toujours un apéro détendu, la chips tranquille et la 33 paisible.

Pendant ce temps à Nantes, c’est aussi l’heure de l’apéro après le match. Hatem et Nicolas discutent un peu par gestes avec les Lituaniens, tandis que Lilian et Titi parlent documentaire animalier en buvant des schnaps, la migration des gnous c’est vraiment un truc de malade.

[1] Raf précise qu’il a retrouvé sur le siège arrière de la sa voiture des débris de miettes de thon, quelques graviers et ce qui lui a semblé être un poil pubien ; il rappelle donc que les sacs de sport doivent être mis dans le coffre, qu’on ne mange pas dans sa voiture et qu’il est interdit de s’y gratter les couilles.