« C’est pas un temps à mettre un footballeur dehors » a dit Laurence en rigolant quand les joueurs du FAR sont sortis de La Crèche.

Un froid de canard s’est en effet abattu sur Lyon, à tel point que près du gros caillou, une colonie de colverts a migré du lac de la Tête d’Or et s’est réfugiée à l’abri du vent. Quelques ours ont été signalés sur le plateau et un peu plus loin des oies sauvages se pèlent le jonc à l’arrêt de bus.

De l’avis général ça meule grave et ça fouette sa mère, mais ça ne va pas empêcher les joueurs du FAR d’affronter ce mercredi 14 novembre, l’Official Lyon Football (OLF) pour le premier tour de la coupe du Rhône. La rencontre a lieu à Craponne, au-delà de l’horloge de Tassin recouverte d’une chape de glace, au pied des monts du Lyonnais qui entrent dans l’hiver polaire, sur le terrain de football du mystérieux hôpital gériatrique Charrial.

Nos adversaires semblent habitués au climat polaire du Craponnois et familiers des températures extrêmes observées dans ces zones de toundras. Sur le banc de touche, les remplaçants sont d’ailleurs emmitouflées dans des manteaux en peau de grizzly et coiffés de toques en fourrures de castor. Des filles de leur tribu sont venues les supporter. C’est très réconfortant pour un joueur de football de voir sur le bord du terrain une fille qui a un peu froid et qui le regarde, qui l’encourage. Ca galvanise toute l’équipe. Les filles, c’est un peu comme un 12ème joueur mais qui sentirait bon. Un avantage dont ne disposent pas les Faricrussiens, dont les compagnes viennent rarement s’accouder aux rambardes glacées de ces terrains lointains.

Le FAR entame pourtant idéalement la rencontre et mène rapidement 2-0. D’abord un but de Menhir d’une tête décroisée, puis c’est Pef qui lobe le gardien qui vient de dégager en catastrophe sous la menace de Martin. OLF réduit la marque un peu plus tard, puis un ballon un peu trop appuyé d’un défenseur adverse glisse entre les jambes du gardien et OLF marque contre son camp (3-1). Trente secondes plus tard OLF réagit : 3-2 à la mi-temps. L’arbitre confie alors que de sa vie, il n’a jamais vu un match de foot loisirs d’un tel niveau ; et sa voix tremble d’émotion sincère.

Le FAR mène à la mi-temps mais est quand même un peu à la peine.

En deuxième période, les joueurs du FAR ont le vent de face. Ils luttent contre le blizzard et contre la neige qui commence à tomber. Le froid est coupant : les sourcils blanchissent, les lobes d’oreilles durcissent, les jambes sont lourdes et les coucouñetas gèlent (serait-il possible d’acheter une bombe de chaud ou des shorts chauffants ?). Bitch jette des tranches de lard derrière la cage pour éviter que les grizzlis n’envahissent le terrain.

Pour aggraver la situation, les joueurs se rendent compte que leurs super pouvoirs sont inefficaces quand la température descend au dessous de zéro. Pierre essaye vainement de capter les pensées des attaquants mais il n’intercepte que des pensés sans intérêts immédiats : une histoire de machine à laver, une fille qui s’appelle Caroline, un problème de bagnole à régler vite fait. Inutiles, les exhortations du Kayser Mégaphone Nico dont la voix ne porte pas plus loin que le milieu de terrain ; et Struf, l’homme-arbre, enfin remis de blessures après sa rixe avec un palmier dattier bourré qui l’avait un temps éloigné des terrains, reste incapable d’étendre ses branches engourdies par le gel pour crocheter les adversaires. Gui, l’homme-10, a beau essayer de se démultiplier, ça ne vient pas et il se fait couper en 10 morceaux au milieu du terrain.

OLF revient au score puis prend l’avantage par un but contre son camp de ce joueur du FAR venu du Nord dont je ne citerai pas le prénom qui détourne accidentellement (encore heureux) le ballon dans la cage et marque son deuxième but au FAR. Martin, sur un coup franc parfait de Gui, égalise à 4-4. Dans le dernier quart d’heure, OLF passe en tête.

5-4, ce sera le score final. Le FAR quitte la compétition au premier tour et met fin à une belle série de quatre matchs sans défaite.

Oui, mais c’est pas facile de jouer un mercredi soir en plein milieu de la semaine. Les joueurs du Far appartiennent à ce qu’on appelle les travailleurs, ces gens qui prennent le métro le matin avec des vestes côtelées, ou qui montent dans des voitures qui refusent de démarrer à l’heure où les joueurs d’OLF, c’est sûr, sortent des nights club et s’en vont siroter un mojito sur le transat d’une péniche pour voir le lever de soleil sur le Rhône.

Car la fraîcheur physique de nos adversaires ne peut s’expliquer qu’ainsi : ils ne travaillent pas. Et pendant ce temps les hommes du FAR peinent, durs à la tâche, pour ramener de maigres salaires dans leurs foyers, se lèvent à 5 heures du matin, portent des sacs de ciment, gèrent des dossiers compliqués et importants dans des institutions publiques, taillent des massifs de fleurs sur des esplanades bourgeoises, visitent des familles au bord de l’explosion, passent des transparents sur Charlemagne à des enfants de 12 ans, servent des capuccinos à la chaîne à des mecs avec des barbichettes qui parlent de Philippe Corcuff et de la reproduction sociale, bref, les joueurs du Far, eux, n’ont pas des vies faciles.

D’ailleurs quand le Requin a crée le FAR la plupart commençaient à perdre pied, minés par les soucis quotidiens, guettés par l’alcoolisme. Ils faisaient peine à voir voûtés sur le comptoir à partir de 18 heures 30, les mains pleines d’ampoules après des heures de baby-foot…

Et il en avait fait une belle équipe, le Requin. Peut-être pas une équipe de coupe mais en tout cas les joueurs ne traînent plus à la Vogue et ça, c’est déjà pas mal.

L’homme du match : n’était pas là ce soir. A préféré fêter son 34ème anniversaire dans un club brésilien select.

Et un bouquin délirant sur le foot 2 rue à lire absolument : La Compagnie des Célestins de Stefano Benni, Actes Sud.